Tuer l’enfant. Catharsis.

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09.03.2022

Utei : Récit d’un survivant ; Les Productions Menuentakuan ; texte et interprétation : Omer St-Onge ; mise en scène : Xavier Huard ; éclairages : Delphine Rochefort ; son : Étienne Thibault ; présenté au Studio Hydro-Québec du Monument-National, du 3 au 6 mars 2022.

 

« Souvent ils ont tué l’enfant aussi »
Florent Vollant

« autant que l’histoire se répétera
je reviendrai au centuple »
Natasha Kanapé Fontaine

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Au début, on ne voit personne, mais on entend le roulement entêtant et assourdissant du tambour : Teueikan, ou tambour, incarne un pouvoir agissant aux moments clés de la vie. Sacré, il permet aux Innus de communiquer avec les esprits. Avec le chant, il guide vers le Maître du Caribou. Uni à la couleur rouge, il favorise la chasse. Associé au canot, au toboggan et aux raquettes, il emporte la tradition nomade à travers les lacs innombrables, les campements, les langues des Premières Nations.

Ce tambour scande aussi une mémoire récente. Ses battements signent les pas des robes noires dans le dortoir des enfants. Utei, ça s’est passé ici. Le tambour appelle le public à rejoindre la perspective des Premières Nations, à communiquer avec la création, les esprits, pour accéder à la guérison.

 

Revisiter l’Histoire

Il est question d’entente, et non de réconciliation. « Réconciliation », Dictionnaire Robert en ligne, sens 2 : « Religion : Cérémonie catholique par laquelle une personne est réintégrée dans l’Église. » Sens ancien : « se dit aussi de l’absolution qu’on reçoit de ses péchés au Sacrement de Pénitence, laquelle fait rentrer le pécheur en Grace, & le réconcilie avec Dieu. » Dictionnaire Larousse en ligne, sens 3 : « Cérémonie solennelle par laquelle un pécheur public est pardonné et réadmis à la communion par l’Église ou qui a pour objet de purifier un lieu saint profané. » La Commission nationale de vérité et réconciliation du Canada aurait pu choisir un autre terme si elle souhaitait véritablement faire la lumière sur les pensionnats autochtones.

D’aucuns répondront qu’il a été adopté par les Nations Unies pour mettre fin aux guerres. Telle que l’a défini le Chili, la « réconciliation nationale », après un conflit, se situe « à un point de convergence entre la responsabilité morale et la responsabilité politique de la communauté internationale ». La réconciliation onusienne est une stratégie internationale de sortie d’un conflit. Elle assoit des adversaires et des médiateurs autour d’une table : tel est le « processus social de catharsis ». Ici, au théâtre, une victime réclame la traversée d’un deuil et un dialogue; ce ne fut pas une guerre, mais une longue oppression, un génocide, par extermination des valeurs, de la mémoire, des traditions et des corps mêmes.

Prises de parole

Le one-man-show lancinant et bouleversant durera une heure. À droite de l’espace scénique, on distingue une tente traditionnelle innue et, à l’intérieur, un feu rougeoyant. À gauche, un lit d’enfant et, face au public, une valise. De la tente monte la voix lente et profonde d’un récitant. Elle porte les souvenirs d’un enfant de six ans, arraché à sa famille et à ses traditions, violé au pensionnat jusqu’au secondaire, puis revenu parmi les siens, détruit par une grande souffrance intérieure, l’alcool, la drogue, la scarification, le vol. Mais au moment où une musique de Pink Floyd fait hésiter le jeune homme sur le point de se suicider, la guérison va commencer.

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Cette histoire appartient à Omer St-Onge – St-Onges sur la couverture de ses deux livres, l’un de poèmes (L’Étoile et le bouleau, 2017), l’autre de récits (Le medewin. La voie du coeur : les enseignements secrets d’un homme-médecine innu, 2019). La graphie de son nom flotte comme l’identité qu’on a voulu effacer en l’achetant au prix fort, grâce à des indemnités délivéres par le Gouvernement du Canada en échange de l’oubli, tel que les victimes le signaient au bas d’un reçu.

Cet accompagnateur des victimes des pensionnats à la Commission nationale évoque la difficulté du témoignage concernant les exactions sexuelles commises dans ces écoles catholiques et l’horreur du pointage associé à chacun des sévices subis. Il dit aussi cet immense sentiment d’abandon que connurent les enfants séquestrés. L’assimilation forcée n’a jamais réussi, ni le retour dans les familles, où toute l’harmonie d’antan était brisée. Ne peut-on deviner que ces substantiels chèques n’ont pas permis de cicatriser les plaies ? Tous n’ont pas accepté ce marchandage, raconte Omer St-Onge, et beaucoup de ceux qui le firent ne surent que détruire leur vie un peu plus vite. D’où le besoin de soigner, qui fait partie de la démarche d’Omer pour lui-même et les siens.

Voix au chapitre

Si l’expérience théâtrale des Autochtones a connu un fort développement, le drame collectif est toujours à vif. Douleur, colère, mémoire : les artistes signent des œuvres résilientes – visuelles, performatives, filmiques, dansées, chantées et jouées. Dans Utei : Récit d’un survivant, Omer, victime de cette horrible histoire, convoque son frère jumeau, sa famille et ceux de sa communauté venus soutenir sa démarche. Grâce à son travail d’acteur au sein de la compagnie Menuentakuan, qui compte sept ans d’échanges, de rires et de travail collectif, l’adversité semble régresser.

Dans Utei : Récit d’un survivant, l’oralité sert la transmission directe, l’émotion à la fois contenue et brute du témoignage, mais aussi la distanciation d’un texte et d’une mise en scène symboliques dénonçant l’acculturation, la violence sexuelle et les méfaits de la domination. La rencontre après la pièce avec Omer autour d’un thé complète le spectacle d’authentiques précisions. La voix d’Omer, égale et captivante, possède une tessiture et un rythme à elle. Monodie récitative, elle accroche ce sujet douloureux. « Lumière du matin » (tel était son nom, devenu un maudit jour matricule « 135 ») a rencontré l’ancêtre qui lui a fait fumer le calumet et l’a lancé sur sa voie de guérison. Geste simple, militant et bienfaisant.

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L’émotion est palpable. « La plupart de ceux qui ont signé l’oubli sont morts d’overdose ou d’alcoolisme », dit celui qui porte sa vision dans un temps étendu : « Pour tous ceux qui ont signé, ce chemin, moi, je va l’faire. Je vois le temps loin en avant. Je vois vos ancêtres. On était des alliés. Il y a eu cassure. (…) Maintenant (…), on est en avant. »

Tuer l’Indien dans l’enfant ? « Ce bruit, que la société canadienne avait toujours réussi à étouffer, est monté en puissance », écrivent  Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque dans Le Peuple rieur (2017). L’État a échoué à ôter son bâton de parole à l’« Indien »De fiers Autochtones se tiennent maintenant sur les devants de la scène, y racontant à travers de multiples histoires les façons de soigner leur âme.

crédits photos : Manoushka Larouche

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