Traque morale

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23.01.2018

La meute, un texte de Catherine-Anne Toupin, mise en scène par Marc Beaupré, avec Guillaume Cyr, Lise Roy et Catherine-Anne Toupin. Une production du théâtre de La Manufacture. Au théâtre La Licorne (Montréal) jusqu’au 17 février 2018.

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Comment mettre en scène la violence quotidienne qui déferle sur nos écrans ? Celle qui se cache derrière l’anonymat des claviers, celle qui, pernicieuse de nature, parvient à détruire des vies, des carrières? Dans la foulée des scandales d’inconduites et de harcèlement sexuel des derniers mois, voire des dernières années, une pièce tente de réfléchir aux options qui s’offrent aux victimes. On pose la question : comment répondre à la violence ?  Dix ans après À présent, Catherine-Anne Toupin revient sur les planches de La Licorne défendre un nouveau texte, La meute. Le spectacle, fort d’un battement médiatique à la hauteur du succès de son précédent, est l’un des plus attendus de la saison théâtrale.

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Cette partition pour trois acteurs, mise en scène par Marc Beaupré, en est une dont on peut dire peu, tellement les fils narratifs sont tissés serrés et tant les révélations et les revirements sont les moteurs mêmes de la proposition. Sophie (Catherine-Anne Toupin) roule toute la nuit pour se rendre dans un coin reculé, pour fuir la ville, faire le vide. C’est ainsi qu’elle arrive chez Martin (Guillaume Cyr) et Louise (Lise Roy); l’un étant le neveu de l’autre. Ils ont une chambre à louer, exactement ce que recherche Sophie. Bien que les motifs ayant amené Sophie dans cette maisonnée demeurent obscurs, elle parvient, à force de soirée bien arrosée, à tisser une relation de confiance avec Martin.

La pièce s’ouvre d’abord sur un monologue saccadé de Sophie, une succession d’insultes, d’appels au viol, de menaces de mort, de discours haineux. Seule sur scène, découpée par un éclairage aveuglant le public, Catherine-Anne Toupin est souveraine en ses mots et lance la pièce avec force et précision. Les durs propos reviendront tout au long de la représentation comme un métronome, question que personne ne les oublie. Car ce sont des mots qui heurtent, dérangent, percolent chez cette femme qui se tient devant nous, mots qui l’ont amené loin de chez elle, ici et maintenant.

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Guillaume Cyr livre une solide performance dans le rôle de Martin, un homme précaire, dans la trentaine, sans emploi et vivant chez sa tante. Celui qui avait surpris dans Pour réussir un poulet de Fabien Cloutier nous sert une composition attachante. Malgré quelques excès de colère, il ne prend pas de temps à mettre le public dans sa petite poche. Si le rôle de la tante, interprétée par Lise Roy, est moins bien défini et plus effacé dans la dramaturgie, c’est d’abord parce que le duo Cyr-Toupin tire cette pièce vers l’avant pendant l’heure durant.

La scénographie d’Odile Gamache est simple et efficiente, alors que la mise en scène de Marc Beaupré est sans esbroufe. Ce sont toutefois les éclairages de Julie Basse et d’Étienne Boucher qui étonnent dans cette proposition. Ceux-ci parviennent toujours à créer rapidement des ambiances et à découper efficacement la dramaturgie qui, à quelques reprises, s’emballe en ellipses, notamment avec le retour du monologue intérieur propulsé par la violence des mots. Un rideau de lumières sobre en fond de scène permet une belle liberté aux éclairagistes qui demeurent toujours au service de la pièce.

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Si ce qui a amené ces trois personnages à se retrouver ensemble pendant quelques jours semble être le fruit du hasard, plus on avance dans l’histoire et plus on se rend compte qu’il n’y a peut-être ici rien de fortuit. Un élément après l’autre, le texte de Toupin dévoile lentement (peut-être même trop) les réels motifs de la présence de Sophie dans cette maisonnée. Parce qu’il est présenté comme un thriller psychologique, on sent malheureusement tout le travail qui a été fait pour appuyer cette tension dramaturgique ; on observe les efforts déployés par la pièce pour se jouer de nous, efforts desquels résulte un attentisme du spectateur quand la pièce s’étire en longueur à mi-parcours.

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Bien au-delà du suspense qui tombe un peu à plat, on ne peut s’empêcher de voir à quelques reprises les gros traits avec lesquels on désire souligner certains paradoxes. On insiste pour nous montrer à quel point la violence est en nous tous, aussi normaux, voire adorables, puissions-nous être. Dans la dernière demi-heure du spectacle, on entend au loin les sabots de la morale qui se dirige droit vers nous. C’est à ce moment qu’on sent la proposition artistique s’amenuiser face au propos qu’elle souhaite porter. S’il n’y a aucun mal à désirer un théâtre porteur d’idées, de réflexions sociales, n’en demeure pas moins qu’on en a déjà vu d’autres orchestrés avec plus de finesse, explorant ses enjeux sans nécessairement plomber le reste de la proposition pour autant.

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crédits photos: Suzanne O’Neil

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