Raconter une histoire

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04.03.2019

Le terrier, un texte de David Lindsay-Abaire, mise en scène de Jean-Simon Traversy, traduction d’Yves Morin, avec Sandrine Bisson, Frédéric Blanchette, Rose-Anne Déry, Pierrette Robitaille et André-Luc Tessier. Au théâtre Jean-Duceppe du 13 février au 23 mars 2019.

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En sortant du théâtre Duceppe ce soir-là, je me suis demandé ce qui n’allait pas. Le terrier, pièce signée par David Lindsay-Abaire – lauréat du prix Pulitzer 2007 pour cette création – s’intéressant à l’ignoble épreuve qu’est la perte d’un enfant, m’avait laissé de glace. Pourtant, plusieurs belles surprises se retrouvaient dans cette proposition du codirecteur artistique du théâtre Jean Duceppe, Jean-Simon Traversy, qui reprenait ici une création montée au théâtre Denise-Pelletier en 2016.

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Sandrine Bisson porte la pièce dans le rôle de Becca, cette mère bouleversée suite au décès de son jeune garçon, happé en pleine rue alors qu’il poursuivait le chien familial. Son conjoint Louis est interprété avec justesse par Frédéric Blanchette, qui livre lui aussi une belle performance. Ce qui surprend le plus est assurément la proposition scénographique de Traversy : une scène dénudée, où l’action est toujours évoquée plutôt qu’elle n’est jouée. Devant un plateau surélevé sur lequel les acteurs prendront place, des objets bigarrés permettent la remémoration incessante de l’enfant et suggèrent la perte vécue au quotidien. Pour le rappeler, le décor de Cédric Lord se compose d’un immense bloc qui plombe la scène et se meut au rythme des chapitres de la pièce, toujours menaçant, tel un perpétuel ciel gris ( aussi restitué par les éclairages de Renaud Petitgrew).

C’est le fossé entre Becca et Louis que la pièce désire franchir toute l’heure durant. L’un tente de se réfugier dans le travail et la routine et l’autre demeure aux prises avec le deuil lorsqu’Isa (Rose-Anne Déry), la sœur de Becca, leur apprend qu’elle est enceinte. Il va sans dire que les réjouissances familiales resteront teintées de mauvais souvenirs. Pierrette Robitaille, dans le rôle de Nathalie, la mère d’Isa et de Becca, est le comic relief de la pièce, un procédé assez classique en dramaturgie américaine, sorte de soupape à la tragédie. Par contre, la stratégie ne surprend plus vraiment. Par ailleurs, l’actrice cumule récemment les rôles boulevardiers : le public étant bon joueur, on dirait qu’il n’attend que son entrée en scène pour rire, même jaune.

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Le jeu des attentes

Reste qu’en sortant du théâtre ce soir-là, quelque chose n’allait pas. J’aurais aimé joindre ma voix au concert d’éloges qui pleut sur la pièce depuis la première, notamment en saluant le jeu de Bisson et Robitaille, la justesse et l’humanité du texte, l’ingéniosité et la force de la mise en scène. Pourtant, j’étais encore aux prises avec cette désolante impression que rien n’était arrivé ce soir-là. Aucun moment, aucune communion semblable à celle promise.

Le problème, j’en suis conscient, relève davantage de ma subjectivité. Je sais trop bien que cette pièce ne m’était pas particulièrement destiné. Qu’elle fait quand même un grand pas en avant, si on la compare avec ce qui était présenté au Duceppe dans les dernières années, et qu’on doit par conséquent s’en réjouir. Que pour son public, elle répond à ce qu’on attend du théâtre : un divertissement, un moment de beauté, d’empathie, d’humanité. Une connaissance des codes narratifs, un respect des attentes et des convenances. En cela, Le terrier est une réussite sur toute la ligne.

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Alors pourquoi venir dire ici que je m’y suis ennuyé, que pendant plus d’une heure on m’a raconté efficacement une histoire, mais que je désirais davantage : un épatement, une proposition artistique forte. Mes attentes, je ne veux pas qu’on les respecte, je souhaite hardiment qu’on les transgresse, quitte à sortir soufflé de la salle, la tête pleine de questions plutôt que le cœur rempli de bons sentiments. Je préfère mille fois l’échec d’une volonté esthétique à la réussite d’une énième histoire racontée. En quittant le théâtre, je veux être enragé ou galvanisé ; bouche bée, à la limite, mais pas indifférent. Malheureusement, de la chaude ovation du public suite à une représentation plus que respectable jusqu’à ce que je quitte la Place des Arts, je cherchais ce que cette pièce avait déposé en moi. Rien. Et c’est exactement ça qui n’allait pas en sortant du théâtre ce soir-là.

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crédits photos : Caroline Laberge. 

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