À Québec, la poésie se balade

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09.03.2021

Espace balados, présenté par le Mois de la poésie ; La douceur n’est jamais loin ; voix et réalisation : Clara Lagacé et Maureen Roberge avec Natalie Fontalvo, Tania Langlais et Émilie Turmel ; conception musicale : Antoine Doré Belley ; Ces espaces qui nous traversent ; avec les poètes Anthony Lacroix, Aimée Lévesque et Geneviève Morin ; en collaboration avec Radio Bic ; Temps bêtes ; de Simon Brown et Maude Pilon ; disponibles du 1er au 31 mars sur http://www.moisdelapoesie.ca/espace-balados

Amuse-bouches, série produite et présentée par la Maison de la littérature ; lecture : Marianne Marceau ; conception sonore : Frédéric Brunet ; direction littéraire et artistique : Isabelle Forest ; assistance à la direction littéraire et artistique : Anthony Charbonneau Grenier ; visuels : Nadia Morin.

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Suite à une année de confinement généralisé, la scène poétique de Québec et ses multiples micros ouverts mensuels font terriblement défaut. La variété de singularités à déploiement variable, la collectivisation passagère, les tentatives révélatrices et les authenticités péremptoires, les fusions ou les rencontres impromptues avec le public : voilà entre autres ce que cet art vivant a dû mettre en jachère. Si la poésie ne s’est pas « réinventée » comme le veut la formule creuse, il semble toutefois qu’elle ait migré en partie en un lieu qui lui sied fort bien, le monde merveilleux des balados.

Collations littéraires

Depuis 2020, la Maison de la littérature a changé la formule de ses rencontres littéraires hebdomadaires et a troqué l’habituel café-croissant pour offrir, en ligne, des collations sonores. Quatre balados ont été diffusés, en février, sur le thème de l’hiver. Les textes inédits d’auteurs variés sont récités chaque fois par la comédienne Marianne Marceau. Heureusement, la lecture ne souffre pas pour autant de cet insupportable accent du conservatoire, que certains comédiens de la Capitale-Nationale adoptent quand il est temps de réciter des poèmes. Il faut dire que Marceau, qui anime la série Amuse-bouches depuis plusieurs années, a fait de la lecture publique une expertise. Elle est accompagnée sobrement par les ambiances tantôt folkloriques tantôt Nouvel-Âge de Frédéric Brunet.

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Contrairement à l’événement en présentiel, qui suppose chaque fois un contexte performatif unique, le format prêt-à-emporter et lissé du studio implique une certaine redondance. On en vient à s’ennuyer réellement des voix de poètes, surtout si on a eu la chance de les entendre auparavant. C’est le cas de Jean Désy qui, toujours complice avec ses auditeurs, par ses intonations solennelles ou rieuses, sait rendre ses lectures irrésistibles. Il n’en demeure pas moins que cette superbe littérature réconcilie avec la saison froide et que, « par la force des choses, la saison longue remet la nordicité à sa place : au centre de notre expérience du territoire » (Perrine Leblanc). Si on n’est pas prêt pour autant à affirmer, avec Jean Désy, que « l’harmonie de tout [notre] être est tributaire de l’hivernité », on oserait volontiers prendre aux mots Hélène Lépine et boire le froid à s’en bleuir les lèvres.

Amitiés en promenade

L’espace balados du Mois de la poésie offre une autre œuvre sur fond de paysage d’hiver, épurée, lumineuse et mouvante comme une mer gelée. Ces espaces qui nous traversent réunit trois amis rimouskois dans une correspondance simple et bienveillante. La brièveté des cartes postales et les changements de voix rythment une écoute sans musique. Cela permet à l’oreille de s’immiscer dans un quotidien coincé entre une intimité prosaïque et la vastitude de la nature. On retrouve avec un bonheur nostalgique Geneviève Morin, la poète derrière Gâteaux glacés (édition de la Grenouillère), dont la Capitale s’ennuie déjà : « J’ai quitté le centre-ville de Québec comme on quitte un amant ingrat. À Cacouna, la mer est une belle anesthésiste qui me ferme les yeux. »

L’amitié épistolaire est également le leitmotiv choisi par Clara Lagacé et Maureen Roberge qui, affichant leur statut d’autrices de la relève en quête d’elles-mêmes et avouant chercher « comment s’autoriser à créer », font aussitôt pardonner la qualité inégale de la proposition. Leurs écrits côtoient les témoignages pigés dans « le même petit sac de femmes inspirantes » qu’elles partagent. Ce mixage entre la littérature et le documentaire prend alors la forme d’une enquête sur la sororité, éparse mais stimulante. Quand elles s’écrivent « Je m’oblige souvent à penser à nos existences enchâssées dans la violence, battues quotidiennes pour cicatriser tout le cabossage. Comme si c’était possible », les mots de Tania Langlais –qui fait ici office de vétérane– écartent tout découragement : « L’art est toujours engagé, l’art est toujours politique même s’il est intimiste, même s’il est dans l’introspection. […] En sororité, on est un commando d’Amazone, un club de sorcières, mon lien est dans la douleur avec ces femmes-là. » Ainsi, d’une sœur à l’autre, malgré le temps ou l’espace qui les séparent, la douceur n’est jamais loin.

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Contingences de l’écoute

Plutôt que d’offrir trois à trente minutes de bandes sonores accessibles sur un site Internet, les poètes Simon Brown et Maude Pilon distribuent au jour le jour des brèves de trente secondes à qui s’abonne. Temps bêtes est le titre adéquat de ce projet inusité dans sa forme et sa cadence. Facétie animalière et jeu verbal, celui-ci à quelque chose de sauvage et de surréaliste et échappe à l’auditeur. Le poème s’incruste entre deux courriels, il vient hanter l’écran comme la vermine s’infiltre dans la maison, mignonne et saugrenue : surprenant, syncopé, fuyant et parfois inquiétant. Je suis mousse de nombril et Les yeux crevés des oisillons, les titres du 5 et 6 mars, sont exemplaires. « Invertébré total/ totale mer de singes/ Je regarde l’heure de la cuisinière/ comme/ comme un ciel/ ciel ». Par la concision des fragments, ses successions d’interventions succinctes et amusées, Temps bêtes déplace réellement le paradigme de l’allocutaire puisqu’il autorise, sinon encourage, une écoute erratique et ponctuelle alors qu’une proposition unitaire exige une attention soutenue.

Cela amène à saisir comment la qualité d’écoute est, avec la migration générale des contenus culturels en ligne, la responsabilité du public. Ici, la réceptivité n’est pas uniquement question de mise à jour technologique, de système et de composantes : elle dépend des préliminaires, de l’état d’esprit et de l’assiduité de l’auditeur. S’installer au salon en branchant le téléviseur et les haut-parleurs à l’ordinateur n’offre pas la même expérience qu’une écoute par téléphone, alors qu’on se promène entre la cuisine et la salle de bain. Si tel a toujours été le cas, cela est désormais une évidence : la singularité de l’expérience ne dépend pas seulement de l’artiste en scène.

Portail (les murs ont des oreilles)

On se réjouit d’entendre à nouveau cette singularité des poètes, où chacun est son meilleur anagnoste. Avec le Mois de la poésie et la Maison de la littérature, la Ville de Québec est devenue un portail exceptionnel. À CHYZ 94,3 FM, l’émission Chéri(e), j’arrive! devient une fois par mois (mais chaque semaine au cours de mars) Chéri(e), je suis poète! et diffuse hebdomadairement, depuis décembre, le Sprint poétique. Depuis septembre 2020, CKRL 89,1FM, sous l’impulsion de Rhizome, offre deux fois par mois La Haine de la poésie. Le titre fait référence à un texte de Georges Bataille publié en 1947, et qui fût réédité ensuite aux Éditions de Minuit sous le nom de L’Impossible. Il s’agit aussi de l’intitulé d’un court et dense essai de Ben Lerner (Allia, 2017). En attendant le retour des nombreuses scènes ouvertes et des gargotes, où l’on jase coude-à-coude de nos dernières lectures entre amis, il y a de quoi se sustenter.

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