Quand la littérature se fait théâtre

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21.03.2017

La cloche de verre, texte de Sylvia Plath ; traduction : Suzie Bastien ; adaptation et mise en scène : Solène Paré ; comédiennes : Marie-Pier Labrecque et Marie-Josée Samson; éclairages : Pauline Schwab, son : Antonin Gougeon, décor et conceptions des costumes : Xavier Mary. Une production du Théâtre de l’Embrasure, présentée à la salle intime du Théâtre Prospero (Montréal) du 14 mars au 1er avril 2017 (sauf les dimanches et lundis).

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La littérature et sa forme romanesque ne sont pas à un mariage raté près avec le théâtre. Depuis toujours, il semble qu’une bonne histoire tenant en quelques centaines de pages soit la chose la plus évidente à transmettre sur les planches des théâtres d’ici ou de Broadway, ou encore entre les quatre murs de monstrueux studios hollywoodiens. C’est pourtant chose rare que de voir ces entreprises couronnées de succès. On dirait que l’explication manifeste est pourtant encore méconnue aujourd’hui. Chaque art use de ses conventions, de ses forces comme de ses faiblesses. La littérature permet une temporalité beaucoup plus rare – et donc précieuse – que ces autres formes d’art, un espace temporel avec lequel l’écrivain peut danser, des sauts dans le temps aux arrêts sur image, le domaine du possible est ici plus grand. Or, trop souvent, on croit qu’une adaptation peut se réduire à un vulgaire copier-coller ou que dégraisser l’œuvre de son superflu (autant dire la dénuer de son style) fera le boulot. Le résultat est souvent une version édulcorée d’une œuvre, d’une linéarité désolante et dépourvue de toute texture et éclat.

Plusieurs négligent la définition du mot adaptation lorsqu’ils en pilotent une, croyant à tort qu’il est synonyme de transposition. Pour adapter, il faut prendre des libertés, insuffler de nouvelles conventions artistiques à une œuvre qui en est normalement exempte et lorsque, par exemple, on adapte un roman au théâtre, il ne faut pas en chercher la théâtralité, mais bien y injecter la nôtre, celle d’un créateur désirant parvenir à une proposition artistique indépendante et forte. Voilà le sentier trop souvent ignoré qu’a pourtant emprunté Solène Paré dans son adaptation de La cloche de verre de Sylvia Plath, unique roman de la poète américaine, à saveur hautement autobiographique.

Paru en 1963, à peine quelques semaines avant le suicide de son auteure, à l’âge de seulement 30 ans, le roman relate l’histoire d’Esther Greenwood qui, remportant un concours d’écriture, se retrouve en plein cœur de New York pour un stage dans un prestigieux magazine. De cette expérience, elle retiendra sa relation d’amour-haine avec son amie Doreen, une jeune fille dévergondée dont elle envie la liberté quasi outrancière, de même que sa facilité à s’affirmer elle-même, malgré cette société au patriarcat oppressant. La désillusion semble totale à New York et un refus d’admission à des cours d’écriture donnés par un écrivain célèbre et qu’elle estime sera à la base de sa première tentative de suicide. Le roman s’articule tant autour des épisodes dépressifs qui jalonnent les tentatives de l’auteure de percer par l’écriture, que des traitements par électrochocs qui visaient à la soigner.

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Dualité dans le jeu

Dans une traduction de Suzie Bastien, La cloche de verre de Solène Paré s’intéresse surtout à l’épisode new-yorkais comme principal moteur de construction de soi ou de désillusion chez Esther. Pour montrer toute la complexité du personnage, cette dernière est interprétée par les deux comédiennes sur scène, soit Marie-Pier Labrecque et Marie-Josée Samson. L’essence de la proposition théâtrale réside dans cette dualité ; d’un côté, une Esther en processus de désillusion et, de l’autre, celle ayant déjà attenté à ses jours et vivant désormais avec le spectre de la maladie et de la mort.

Si le jeu de Marie-Josée Samson est celui de la retenue et du désenchantement, celui de Marie-Pier Labrecque est celui de l’éclatement dans la folie des épisodes de bipolarité, sans compter qu’elle joue de plus une galerie de personnages comme la sulfureuse Doreen ou encore la naïve Betsy. Dans la salle intime du Prospero, le duo de comédiennes habite l’espace avec finesse ; conscientes de la proximité avec le public, elles n’hésitent pas à s’adresser à lui sans jamais le toiser, créant efficacement une narration qui happe rapidement le spectateur.

Le texte s’accorde à merveille à la salle dans laquelle il est présenté : l’économie de moyens dont la scénographie – signée Xavier Mary – fait preuve et la simplicité des costumes tissent un lien clair avec le public. Avec comme seuls éléments scéniques une pile de papier, un verre d’eau et une montre, tout prend son sens de la plus métaphorique des façons. Dès les premières minutes, l’une des deux Esther retire sa montre pour la jeter dans le verre d’eau posé en plein centre de la scène, vision d’une temporalité éclatée, d’un temps qui se noie dans ce verre complice d’une tentative de suicide à venir.

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À l’entrée des spectateurs, la scène dépouillée est globalement éclairée et un habillage sonore rythme la lenteur du spectacle à venir, en un battement de cœur qui s’amenuise. Tout au long de la pièce, cette ambiance s’installera en filigrane du jeu des actrices, sans jamais prendre le dessus ou encore se faire oublier. Et, sans qu’on y porte vraiment attention, le travail sonore d’Antonin Gougeon fait éclater l’espace pour l’élargir sans amoindrir son intimité tandis que les éclairages de Pauline Schwab parviennent quant à eux à jouer sur une profondeur qu’on croyait impensable en raison de l’étroitesse des lieux.

C’est dire que Solène Paré y est allé d’un réel travail d’orfèvrerie avec ce texte de Sylvia Plath, allant même jusqu’à créer à même la salle intime du Prospero une cloche de verre sous laquelle elle nous tient captifs pendant près d’une heure. Elle a réussi à faire d’un roman du théâtre avec liberté et pudeur, à faire ressortir du texte de Plath ce qu’elle y percevait comme l’essentiel. Voilà en quoi réside une réelle adaptation, une réelle proposition artistique. Le temps d’une soirée, le roman meurt pour faire vivre le théâtre et c’est beaucoup mieux ainsi.

crédit photos : Antonin Gougeon

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