Des roches imaginaires

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19.09.2022

Le cas Nicolas Rioux. Texte : Erika Mathieu ; Mise en scène : Patrick R. Lacharité ; Conseil dramaturgique : François Archambault ; Interprétation : Manon Lussier, Joëlle Paré-Beaulieu, Christophe Payeur, David Strasbourg, Alex Trahan, François Trudel ; Scénographie et direction technique : Jenny Huot ; Costumes : Chloé Barshee ; Lumière : Marie-Aube St-Amant-Duplessis ; Musique : Étienne Thibeault ; Assistante à la mise en scène et régie : Claudie Gagnon ; Une production : La Fratrie. Du 13 au 30 septembre 2022 dans les coulisses du Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts

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N’a-t-on pas tous.tes déjà rêvé de se caler dans un siège de théâtre, une bière et un encas à la main, disposé.e.s à rire aux éclats ou à fondre en larmes comme au creux de nos chaumières? Ce scénario, sachez-le, ne relève plus du fantasme. Inspiré du concept écossais A Play, A Pie and A Pint (une pièce, une pointe et une pinte), la formule 5 à 7 du Théâtre Jean-Duceppe offre en effet la possibilité d’assister, en coulisses, à une courte pièce écrite par la relève durant laquelle sont distribuées boissons et collations, le tout pour la modique somme de 25$. Si la fonction démocratique de l’art trouve dans ce cadre décontracté et accessible matière à exaltation, elle apparaît d’autant plus mise à l’honneur à l’heure actuelle que la pièce Le cas Nicolas Rioux prend précisément pour thème les dérives de la démocratie moderne, abordées à l’aune des débats sur la liberté d’expression.

Polémiquer l’art

Dans une trame narrative difficile à résumer en ce qu’elle ne rend pas justice à la complexité morale de la pièce (le communiqué de presse faisant même redouter une approche quelque peu réactionnaire des polémiques virales, nombreuses sur les réseaux sociaux), le conseil municipal de Sainte-Victoire-de-l’Espérance convoque une assemblée pour aborder un dossier chaud, et pas n’importe lequel : celui de Nicolas Rioux, qui, comme l’évoque la juxtaposition nominale dans le titre de la pièce, aura peu à voir avec les procès fondés sur les principes de présomption d’innocence et d’impartialité. Nicolas Rioux, en l’occurrence, est dramaturge, il écrit des pièces de théâtre avec une passion si prenante qu’il est parti vivre quelques années à Montréal dans l’espoir de connaître le succès, et peut-être aussi de fuir de vieilles blessures… Mais voilà que l’œuvre avec laquelle il fait retour dans sa ville natale sème la controverse : elle ferait l’objet d’appropriation culturelle, cette expression sacrilège que le maire peine à prononcer devant sa communauté.

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Cette communauté, par ailleurs, c’est le public qui l’incarne, impliqué qu’il est dans l’action dès son entrée dans les coulisses. Devant lui, assis dans cet ordre, siègent la conseillère municipale, parente de l’accusé et seule défenderesse de la cause, le maire de la ville, aux airs si niais qu’il en paraît presque louche, de même que le jeune secrétaire en peine d’amour, suscitant des malaises drolatiques chaque fois que se font entendre les cliquetis de sa machine à écrire. Hormis ce panel caricatural qui anime avec cran la réunion et n’hésite pas à exprimer les opinions les plus farfelues sur l’homme de théâtre, on a aussi droit aux témoignages haineux de deux habitant.es du village, celui de Monique, coiffeuse et comédienne amatrice dont on apprend non sans surprise qu’elle avait auditionné pour un rôle dans la pièce, et celui de Rémi, ancien meilleur ami de Nicolas, dont la faible estime a souvent été heurtée à ses côtés… Vous aurez donc compris : derrière l’image de partage égalitaire dont elle veut se doter, cette assemblée s’avère finalement n’être qu’un prétexte pour laisser libre cours aux revanches personnelles, savourées au nom de toutes les « roches imaginaires » que l’artiste aurait, dit-on, lancé sur ses voisins. Mais d’ailleurs, où est-il, cet homme aux mille tares? Qui dans la salle a même lu son texte? Jusqu’où iront toutes ces langues déliées par la tribune sociale et le poids de la surenchère? L’absurdité de la situation trouvera son paroxysme dans une scène rocambolesque aux élans quelques peu illégaux avant qu’un lourd secret jette une nouvelle lumière politique sur le procès…

Simple et efficace

Il faut le souligner : la mise en scène de Patrick R. Lacharité tire formellement profit des particularités de son lieu de partage. Sobre, efficace et surtout intime, elle attire les spectateur.rices dans une zone confortable où les rires fusent de part et d’autre. Et malgré la proximité avec l’action scénique ainsi que la minceur de la frontière que la pièce dessine initialement entre quotidien et fiction, les codes de la mimésis s’imposent progressivement au fil de la représentation, alors que les lumières se tamisent, les sons se complexifient et le niveau de jeu change. L’interprétation vive et enjouée de Joëlle Paré-Beaulieu mérite à cet égard une mention spéciale. En un peu moins d’une heure, Le cas Nicolas Rioux réussit à remplir un des contrats qui sied le mieux à la forme dramatique : la fameuse satire sociale.

crédits photos : Danny Taillon

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