L’invisible collectif

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01.02.2023

Ressources, Hubert Caron-Guay et Serge-Olivier Rondeau, Les films de l’Autre, Canada, 2021, 99 minutes.

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Maintenant en salle après une présence dans les festivals, le documentaire Ressources de Hubert Caron-Guay et de Serge-Olivier Rondeau doit en partie son impulsion aux soubresauts de la politique. Il y a quelques années, le gouvernement a accéléré le processus d’attribution de permis de travail aux demandeurs d’asile en attente de leur statut officiel. Ces immigrants qui ne parlent pas français et qui fuient une réalité insoutenable ont besoin d’un travail légal et régulier pour survivre d’ici la décision de la cour qui leur apprendra s’ils peuvent s’établir au Canada. Cette décision n’est souvent rendue qu’après plusieurs mois, voire plusieurs années, ce qui les place dans une situation des plus précaires. Au fil du temps, deux grandes entreprises d’abattage et de transformation de la viande, Olymel et Exceldor, ont su se tailler une place dans cet engrenage en développant des structures qui leur permettent d’engager et de former des immigrants hispanophones ayant reçu leur permis de travail, mais n’ayant pas encore – faute de temps, de moyens et de certitude quant à leur avenir – appris le français.

Travail

Les deux cinéastes ont exploré cette réalité méconnue en passant plusieurs mois dans les bureaux d’un organisme communautaire qui aide les nouveaux arrivants à trouver un emploi, notamment en leur proposant de déménager en région pour travailler dans ces usine d’abattage. Ils ont également suivi de plus près deux demandeurs d’asile mexicains, Paulo Cesar et Eursina, qui ont fait le choix de s’établir dans la localité de Louiseville, à proximité d’une usine d’Olymel. Cette première trame côtoie d’autres images, captées sur une ferme d’élevage et sur des monocultures de maïs. Le documentaire s’intéresse ainsi à trois types de ressources – humaines, animales et végétales – qui sont « captives », pour reprendre l’expression d’Hubert Caron-Guay /01 /01
Propos recueillis lors d’une discussion suivant la projection.
, d’une industrie elle-même tributaire d’un système économique global.

Un jeu de miroirs entre deux plans presque successifs, le premier montrant des porcs en train d’entrer dans un camion et le deuxième une file de travailleurs pénétrant dans une usine pour leur quart de travail, appuie d’ailleurs de manière tout à fait limpide sur cette idée d’interdépendance entre  différents êtres vivants, tous prisonniers d’une même chaîne de production. Le documentaire illustre à quel point l’expression « ressources humaines », utilisée banalement dans le monde du travail, peut cacher une foule d’enjeux complexes ainsi qu’une forme de violence administrative. Alors que les immigrants qui figurent dans le documentaire viennent au Canada pour trouver refuge, ils sont aussitôt traités comme de la main d’œuvre et deviennent vite prisonniers d’un système où l’histoire de tout un chacun importe peu, où tout le monde est remplaçable.

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Observer, écouter

Dans la lignée du cinéma direct, Ressources est un documentaire d’observation qui n’intègre ni narration, ni statistiques, ni intervention des cinéastes. La caméra, patiente, filme le quotidien des protagonistes, caractérisé, pour les demandeurs d’asile, par de longues démarches administratives, de l’inquiétude et des décisions difficiles à prendre. Le documentaire repose ainsi sur un contact soutenu et une complicité entre les réalisateurs et leurs sujets. Cette approche paraît indispensable dans un contexte où l’on entend presque toujours parler d’immigration de manière désincarnée, à travers une suite de projets de lois ou de prises de position plus idéologiques que réellement informées. Ancré dans le réel, le film donne à voir un certain état du monde appelé à évoluer au gré des différentes politiques. Il reste cependant intemporel en incarnant le parfait exemple de la capacité qu’a le cinéma de montrer ce qui était, jusque-là, du domaine de l’invisible collectif.

Il ne s’agit donc pas de faire la leçon ou de formuler une critique explicite, mais de refléter des expériences complexes de la manière la plus juste possible – l’étape du montage permettant de donner une direction au film, de bâtir des ponts et de créer des échos. Au fil du documentaire, on constate par soi-même l’ambiguïté paradoxale d’une situation qui est choquante, qui paraît injuste, mais qui vient aussi, d’une certaine manière, répondre à un besoin qu’ont les demandeurs d’asile lorsqu’ils arrivent au Canada tandis qu’ils cherchent des moyens de subsistance.

Présence au monde

Ce qui peut apparaître comme un parti-pris de neutralité n’empêche aucunement Ressources de se présenter comme un film bouleversant qui nous invite à aller à la rencontre de l’autre et à accroître notre connaissance de notre société. Par le fait même, il nous rend plus apte à porter un jugement sur cette dernière et, éventuellement, à modifier nos discours et nos façons d’agir. La démarche du duo Caron-Guay et Rondeau tisse ainsi des liens étroits entre information, empathie et sens critique.

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Parce qu’il est de nature ouverte, le documentaire est par ailleurs à même de susciter des réactions différentes chez chaque observateur. Déjà évoquée, l’ambiguïté est peut-être encore plus frappante lors de la partie du film dédiée à la ferme. Alors que les images des porcs entassés dans leurs enclos en béton et des vaches au pelage couvert de boue séchée sont, pour le fermier qui a participé au projet, la représentation fidèle d’un métier dont il est fier et qu’il accomplit selon les normes en vigueur, d’autres, moi la première, ressentent certainement, en y étant confrontés, de la colère ou un malaise. Mais ce qui frappe du début à la fin du film, c’est la puissance, la charge de réel portée par les images qu’il présente. Sans jamais tomber dans la surenchère, Ressources réussit à nous engager, c’est-à-dire à renouveler notre présence au monde.

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Propos recueillis lors d’une discussion suivant la projection.

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