Les tableaux vivants de Catherine Gaudet

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22.10.2020

Entretien avec Catherine Gaudet autour de Se dissoudre. Chorégraphie : Catherine Gaudet ; Interprétation : Marie-Philippe Santerre ; Direction des répétitions et conseil dramaturgique : Sophie Michaud ; Conception sonore : Antoine Berthiaume ; Lumières : Alexandre Pilon-Guay ; Scénographie et costumes : Justine Bernier-Blanchette ; Direction de production : François Marceau. Présenté à une date ultérieure à l’Agora de la Danse.

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Elles étaient programmées par l’Agora de la danse, début novembre 2020, mais rien de moins sûr qu’un spectacle cet automne : la chorégraphe Catherine Gaudet n’a pas cessé pour autant d’affiner son solo pour Marie-Philippe Santerre, intitulé de façon prophétique Se dissoudre. Cette pièce suit L’affadissement du merveilleux, une pièce de groupe présentée à L’Agora, en septembre 2018.

Résistant à la dilution actuelle des rapports humains et de la culture, l’artiste s’engage plus avant dans sa recherche. « Le travail en studio a commencé assez tôt, raconte la chorégraphe. Le confinement n’était pas encore là. J’ai eu la chance d’avoir accès à un lieu à la campagne ; j’ai pu y dégager une salle. Comme j’ai besoin d’un tout petit espace de solo, j’ai invité Marie-Philippe, et on a fait une petite résidence au mois de juin. »

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La voici libre de créer selon son intention. « J’ai souvent travaillé des solos, en courtes formes », explique celle qui en a signé trois dans Tout ce qui va revient, dansés à La Chapelle Scènes Contemporaines en mars 2018. Une succession de trois pièces y réunissait des danseuses de trois générations : Louise Bédard (vingt-cinq minutes), Clara Furey (quinze minutes) et Sarah Dell’Ava (vingt-cinq minutes). « Appartenant à un même cycle de création, outre le fait qu’ils sont portés par des femmes, mes solos présentaient des résonances entre eux. » Cette observation lui permet d’approfondir sa relation à la danse.

En mai 2019, sans préjuger d’un résultat scénique, la recherche corporelle continue avec Marie-Philippe Santerre, stagiaire dans sa compagnie : or, « il en est né une séquence de vingt minutes de plaisir partagé. », résume Catherine Gaudet. L’Agora de la danse lui offre alors au printemps d’enrichir Se dissoudre, exempte, selon la chorégraphe, des affects de la pandémie, et de la présenter au public.

Créer des formes courtes

Que cherche sa danse ? « La forme courte, d’une vingtaine de minutes, est selon moi percutante, tant pour la durée que pour la performance de l’interprète. Cette forme me plait et me suffit. Mon défi maintenant est de la porter à cinquante minutes. Jusqu’à présent, j’ai créé des solos théâtraux, habités par des personnages qui vivaient dans une relation avec le public. Avec Marie-Philippe, j’entre dans un nouveau cycle de création, constitué d’images plus abstraites. J’aime penser la chair en termes de matière à malaxer et faire émerger des images reconnaissables ou sur lesquelles on peut se projeter. »

Que veut-elle donc affadir et dissoudre ? Catherine Gaudet répond qu’elle aime le concret des états corporels. On y reconnait, dit-elle, ce qu’elle appelle « des traits d’individualité », mais l’ensemble de sa danse vise à produire « des états hypnotiques ». Ceux-ci envahissent d’ailleurs ses yeux, à cet instant de notre rencontre. « L’accumulation de mouvements, qui, pour l’interprète, n’a pas nécessairement de signification, laisse passer des figures abstraites, qui évoquent des états reconnaissables. On ne peut pas mettre le doigt dessus clairement, mais, par elles, je livre une œuvre nuancée, ambiguë, dans un entre-deux qui évite la transmission d’un message. »

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Entre deux pensées, entre deux sensations et entre deux désirs, c’est ainsi qu’elle définit sa danse. Ces passages de vie n’incarnent pas, précise-t-elle, la dualité des contradictions : « Une multiplicité de sensations traversent chaque situation vécue. Sous la surface de nos définitions assumées s’étend une zone d’ambiguïtés, et c’est que j’aime explorer. »

L’élaboration chorégraphique

Comment naît une telle création en studio ? « J’envoie les interprètes dans des directions multiples. Le corps peut aller dans une direction, la tête dans une autre. Ma gestuelle, mes mouvements et ma physicalité comportent beaucoup d’oppositions et de contre-tensions, qui se traduisent en directives exigeantes pour les interprètes. Cela ne leur demande pas une grande exigence technique, mais une connaissance fine du corps et des sensations. »

Si la chorégraphe exige d’eux la souplesse de s’adapter rapidement à ces antagonismes, c’est qu’en leur présence, elle en ressent le poids réel. « Je suis face à un voile que je soulève pour voir ce qui nous mobilise. Cela ressemble à une enquête sur l’humanité. Ce qui traverse mon écriture est cet intérêt pour les zones inconscientes, tant individuelles que collectives, qui nous poussent à agir. » Tel est son dessein : le minimalisme de sa danse fait accéder à une connaissance de soi-même et des autres.

Au moment présent

Au théâtre, on explore la relation à autrui en donnant une grande place au regard, explique-t-elle. Sa création n’est pas séparée de sa vie, pleine de zones inconfortables d’existence dans le monde. « En créant des personnages dansants, j’interroge ce malaise et je trouve le vertige de l’univers. Comment se fait-il qu’à travers l’évolution de l’humanité, on cherche encore le sens de notre existence ? Qui sommes-nous ? Que fait-on ici ? Avons-nous une mission ? Quels rapports, entre notre construction et notre biologie ? L’effet miroir entre l’humain et l’univers me fascine. »

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Sur le plan artistique, Catherine Gaudet est-elle affectée par les mesures sanitaires de la pandémie et les restrictions politiques et sociales ? « Pas du tout. Je manœuvre bien dans l’incertitude. Mais l’arrêt et le recul lors du confinement reposent la question du sens de ce qu’on fait. Je cherche le mouvement essentiel. Je voudrais que, quoi qu’on fasse, la conscience du système, de l’industrie culturelle et de production, où on considère que les artistes répondent à des lois économiques, remette en avant la question : pourquoi fait-on de l’art ? Je réponds que cela n’a jamais été pour moi un métier, mais un désir plus fondamental de me relier à l’immensité, de partager et de communier. J’ai la beauté et le sacré dans ma ligne de mire. »

Se dissoudre, parce que c’est un solo, résonnera nécessairement dans l’époque. « C’est une distorsion du temps, qu’on aura tous et toutes vécu. Mais cela restera sans lien avec le confinement. »

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