Le trouble de la métamorphose

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08.09.2022

Une fille en or. Texte et mise en scène : Sébastien David | Interprétation : Amélie Dallaire et Sébastien David | Assistance à la mise en scène : Aurélie Marcoux et Andrée-Anne Pellerin | Scénographie : Marie-Audrey Jacques | Costumes et relais artistique au décor : Wendy Kim Pires | Lumières : Andréanne Deschênes | Composition musicale : Julien Éclancher | Vidéo : William V. Saumur | Direction de production : Caroline Ferland | Direction technique : Marin Villevieille | Conseil artistique : André Gélineau | Direction artistique du TDS : Hubert Lemire | Régie : Adèle Saint-Amand | Production : Théâtre du Double signe. Présenté au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 24 septembre.

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Un sol en terre noire où gisent des objets disparates met en valeur un large mur bétonné faisant office d’écran de projection. De ce chaos à la fois organique et numérique, où se mêlent les textures et les matériaux, s’extrait un spectacle baroque au fil duquel tout se côtoie, se transforme et se replie sur soi-même, au risque de succomber au vide. Après avoir animé le public sherbrookois en 2021, Une fille en or, création du Théâtre du Double Signe, ouvre le bal de la programmation 2022-2023 du Théâtre Denise-Pelletier qui, à n’en pas douter, saura faire une place aux imaginaires les plus fantasques.

À la genèse du spectacle se trouvent un poème mythologique, celui des Métamorphoses d’Ovide, et un récit, celui du roi Midas, qui fit le vœu de transformer en or tout ce qu’il toucherait, incluant sans le savoir sa propre fille. Une réécriture libre de ces deux mythes tire profit de leur veine tragique pour explorer avec légèreté les paradoxes de la vie moderne, où nos désirs sans limites finissent toujours par dilater nos manques existentiels. À travers quatre personnages de femmes obsédées respectivement par la richesse, l’image, la gloire et la technologie, Amélie Dallaire se métamorphose sous nos yeux durant plus d’une heure et demie. Accompagné seulement par la narration de son acolyte Sébastien David, qui mise entre autres sur des procédés métafictionnels, et par la scénographie fourmillante de Marie-Audrey Jacques, qui allie technologies et matière vivante, le corps de la comédienne, que celle-ci habite d’ailleurs pleinement, évolue sur scène avec l’aisance propre à celui d’une danseuse, changeant de costume à chaque rôle interprété.

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Avec un humour absurde et quelque peu bon enfant, les créateurs nous livrent le récit de vies ordinaires qui, soudainement, bifurquent vers l’impensable, telle cette « femme en terre » qui revient de chez les morts sous des traits frankensteiniens en quête d’un sens à donner à sa résurrection ; cette « femme en pixels » qui, à force de passer ses journées sur le Web, s’y dématérialise pour de bon ; ou encore cette « fille en or » disparaissant après avoir hérité du même pouvoir que le roi Midas. Aussi le registre du conte, qui prévaut dans la pièce, autorise toutes les envolées fantastiques et farfelues, parfois hélas au prix de notre adhésion intellectuelle.

C’est que lorsqu’une œuvre prend le parti de l’abondance et de la diversité thématique, on est en droit de s’attendre à ce que le cœur philosophique qui en relie les morceaux soit creusé, dépecé, foré de fond en comble. Pourtant, ici, l’écriture semble se réfugier sous l’étiquette d’un théâtre plus ou moins expérimental à défaut de fournir à la pensée un os substantiel autour duquel gruger : tantôt, le texte en dit trop peu, se limitant à entrouvrir des portes sur diverses réflexions (portant notamment sur l’identité, la création, la vanité) qu’un coup de vent de prosaïsme a tôt fait de refermer; tantôt, il en dit trop, multipliant ainsi les redondances et les métaphores maladroites. Ce qui fait non seulement qu’on entrevoit – trop, selon moi – le processus d’improvisation exploratoire qui a précédé l’étape de la dramaturgie, et que le résultat final conserve une apparence de brouillon, mais surtout que l’on se surprend à espérer par moment que les mots s’effacent derrière l’esthétique du spectacle.

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Il semble néanmoins possible d’approcher l’œuvre d’une autre façon, soit précisément pour ce qu’elle se réclame d’être, c’est-à-dire une expérience dramatique déjantée, brute, aux contours imparfaits, qui ne se prend en aucun cas au sérieux. Comme l’expriment les discours mis en abyme de la « fille en double » sur le processus créatif : « Moi, je ne la connais pas mon époque. Je ne suis pas un phare dans la nuit. Je suis juste la nuit. » Rester dans le trouble artistique, pour le dire avec Donna Haraway, voilà peut-être l’appel formulé par cette pièce de théâtre.

crédits photos : Jessica Garneau

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