Le souffle persiste pourtant

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13.05.2021

Se dissoudre, Chorégraphie : Catherine Gaudet ; Interprétation : Marie-Philippe Santerre ; Direction des répétitions et conseils dramaturgiques : Sophie Michaud ; Conception sonore : Antoine Berthiaume ; Lumières : Alexandre Pilon-Guay ; Scénographie et costumes : Justine Bernier-Blanchette ; Direction de production : François Marceau ; Coproduction : Agora de la danse. Présenté du 11 au 15 mai 2021 à l’Agora de la danse.

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Se dissoudre prend le pari de l’exploration des phénomènes et des sensations intimes : tout ce qui est l’envers d’une disparition. Catherine Gaudet met en scène le souffle comme pivot de transformations physiques, et Marie-Philippe Santerre livre ici une performance grandiose, généreuse, courageuse et dans l’engagement total.

Le décor est nu, la danseuse apparaît sur scène. Elle porte seulement un pantalon. Blanc, comme le décor. Ensemble, ils refléteront la couleur de l’éclairage en perpétuelle métamorphose, en douche. L’œuvre est un long fil rouge, ou plutôt, pour rester dans l’imaginaire chromatique, cousue de fil blanc. Sa progression d’une heure consiste en une lente transformation organique du matériel dansé, et donne l’impression que la danseuse partage sa vie intérieure, dans un état de corps qui, à son point culminant, prend une allure plastique et malléable. Marie-Philippe Santerre utilise une technique de l’isolation, qui renforce l’aspect sculptural du corps.

Pulsion de vie, survie et combats

La pièce commence dans l’obscurité. Seul le souffle de la danseuse est audible – le temps de créer un mystère. Un éclairage mauve expose ensuite son corps, à demi-nu, assis sur des jambes écartées. Ce que nous voyons dès le départ, c’est ce mouvement d’ondulations, provenant des genoux, du bassin, du ventre, des épaules. Et de la respiration, qui s’échappe ici et là. Qui n’a jamais la même source dans le corps. Défi d’endurance de taille, les secousses en leitmotiv, engendrées par la danseuse, sembleront se régénérer d’elles-mêmes. Elles créent un mouvement de vie qui durera toute la pièce, dirigera, habitera l’interprète jusque dans les pauses et les accalmies.

Que ces secousses subissent des rotations, qu’elles inclinent le haut du corps, qu’elles aient lieu contre le sol, petites ou amples, elles donnent à voir plusieurs images et font traverser de nombreux états à Santerre : défiance, méfiance, confiance, assurance, séduction. C’est un même mouvement central du ventre, lié à la respiration, qui se dissout dans le corps, sur la scène et dans la durée. Avant de se dissoudre, il se crée dans le corps en réponse aux épreuves que la danseuse évoque dans des images parfois très crues. L’interprète se commet avec grande vulnérabilité dans une recherche de vérité. Les passages au sujet des sentiments causés par une agression, et de la distorsion des rapports sociaux qu’elle engendre sont très poignants. Vital, le souffle ne pouvait pas échapper à sa sexualisation : l’acte ainsi représenté, malgré l’accueil bienveillant de l’auditoire, crée un certain inconfort, tant par l’aspect non consenti qui semble le caractériser que par la façon dont cela s’éloigne des codes (le non-consentement n’est pas toujours aussi clair qu’on le montre, qu’on le pense, ou même qu’on le vit). Sur scène, la honte se traîne au sol, avance couchée, en cachant son sexe des mains. La honte avance du bout des pieds, tandis que les organes, sont protégés, cachés. Et toujours ce même souffle, bien que scarifié, on le reconnaît : bouche cousue, on le reconnaît. Ce dont on parle est grave. On parle de se relever après une agression, de recevoir des baffes par la tête, d’avoir le cou tranché, de retomber.

Résistance, renaissance

Investie dans le souffle pendant près d’une heure, Santerre vacille, en lutte constante avec l’hyperventilation. Lorsqu’elle se redresse enfin, bassin écarté, lumière blanche, elle prend une pause, complètement silencieuse, avant de recommencer à respirer, plus profondément (du bas-ventre). Elle est sur ses gardes, mais elle persévère, sa démarche reste entrecoupée, le haut de son corps s’affaisse et remonte. La danseuse explore la défiguration, a du mal à se relever. Elle y parvient, exécutant une danse (qu’on pourrait qualifier d’assez typique en danse contemporaine) composée de petits déplacements rotatifs, de fentes et de mouvements de bras. Mais le tout est saccadé, défiguré, humilié. La respiration est brisée, ou du moins ardue : inspiration problématique, rouillée, expiration véhémente.

S’accélérant, cette danse tend vers la fluidité, l’inspiration se fait mieux. Les yeux sont fermés. Tout au long de la pièce, chaque renaissance, chaque ressaisissement se déroule dos au public. Les commandes chorégraphiques se répètent, mais le tout semble s’embrouiller dans la rapidité, ce qui cause visuellement un effet de fuite. La musique se sature, l’éclairage esquisse une petite vibration de stroboscope. La lumière retrouve le mauve de l’entrée en scène, la tête haute veut sortir de l’eau. Rien n’est surligné, seulement suggéré : lors de cette grande prestation (qui arrive ainsi retardée depuis novembre 2020, chargée d’émotion après deux reports), toutes ces choses graves ont été dites sans mot, dans la progression, dans l’accélération, par cet amalgame de la musique avec la lumière. L’évocation poétique du temps qui passe se confirme par l’arrivée de la neige soufflée sur scène qui, s’accumulant, nous laisse sur une fin feutrée. Rien de léger, et pourtant…

crédits photos : Mathieu Verreault

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