La fiction biographique aime les génies méconnus

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27.04.2015

Jean-Marc Beausoleil, Docteur Jazz, Éditions Trois-Pistoles, 2015.

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La fiction biographique est en vogue depuis quelques années. Qu’on pense, entre autres, à ces œuvres très bien reçues : Limonov d’Emmanuel Carrère, Peste et choléra de Patrick Deville, Charlotte de David Foenkinos ou Courir de Jean Echenoz. Tous ces livres s’intéressent aux destins de génies méconnus des arts, du sport ou de la science. C’est également le cas pour le quatrième livre d’un auteur québécois, Jean-Marc Beausoleil, qui a écrit un roman au sein duquel on retrouve plusieurs pages biographiques sur la vie tumultueuse de Jelly Roll Morton, un dandy génial des débuts du jazz.

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La prose de Jean-Marc Beausoleil n’est ni tatillonne ni ennuyeuse. Dès les premières pages de son roman, Docteur Jazz, les phrases filent, courtes, nerveuses, inquiètes, un peu à l’image du personnage principal, Paul «Dactylo» Bouchard, musicien de jazz montréalais aux prises avec la fin de sa quarantaine. Son fils Olivier, astrophysicien, récipiendaire d’une bourse prestigieuse, part étudier aux États-Unis. Le départ du fils bouscule un peu la quiétude du couple formé par le musicien et sa compagne, une artiste.

Élevé à la dure, balloté de famille d’accueil en famille d’accueil, Paul «Dactylo» Bouchard semble hanté par la guigne de son passé. Il a peur que sa compagne le trompe, il devient méfiant, paranoïaque. Mais le destin l’empêche de tomber dans la déréliction car un contrat de disque alléchant vient donner à son band moribond une occasion de briller. La commande : enregistrer les classiques du début du jazz. Butant sur cette contrainte, c’est à ce moment qu’il décide de consulter son mentor, Edward, un vieux jazzman écumeur de bars qui lui avait donné sa première chance, sorte de Yoda alcoolique, érudit du jazz. Paul lui demande de lui conseiller des pièces tirées de la préhistoire du jazz et le savant homme décide alors de lui raconter le destin d’un de ses plus illustres représentants.

Voilà le cadre romanesque dans lequel l’auteur de Docteur Jazz a décidé d’insérer la figure de Jelly Roll Morton, de son nom de baptême Ferdinand Joseph Lamothe, né en 1885 dans le quartier de Storyville à la Nouvelle-Orléans.

Car il s’agit moins d’une fiction biographique, dans ce cas, que d’un roman portant sur un pianiste de jazz montréalais, dans lequel on met de l’avant la vie de Morton. C’est à la page cent vingt-huit, d’un roman qui en compte deux cents quarante-cinq, qu’Edward, dont le narrateur boit littéralement les paroles, commence à raconter la vie extraordinaire, tumultueuse, folle et géniale de ce fameux Jelly Roll Morton, dont un des pseudonymes était Docteur Jazz. Certes, on s’intéresse aux péripéties entourant la réunion du groupe de Paul «Dactylo» Bouchard et à la gouaille de Mélodie, cette chanteuse alcoolique au caractère instable qui lui donne du fil à retordre; toutefois, c’est quand on revient à l’histoire de la vie de Morton que la fascination renaît.

Élevé par sa grand-mère, pianiste dans les bordels de la Nouvelle-Orléans à dix-sept ans, contraint au nomadisme quand sa grand-mère décide de ne plus s’en occuper, Jelly Roll Morton trouve toujours, grâce à sa virtuosité fantasque, un patron de bouiboui qui le laissera jouer pour de l’argent. Le musicien génial excelle aux cartes, mystifie les gens, empoche tout et évite ensuite de justesse les représailles. Il survit également à une tentative d’assassinat. C’est une incroyable idole, la première vedette bling bling, qui enregistre des disques et des partitions que l’on s’arrache. Tous les lieux qui l’accueillent font salle comble. Jelly Roll Morton est un phénomène, une saga de l’Amérique à l’époque précédant la dépression et les années suivant ses ravages. Rusé et hyper talentueux, il a grandement contribué à mettre en place le star-système tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Jean-Marc Beausoleil nous abreuve en anecdotes croustillantes et effrontées à propos de cette vie sans commune mesure. Certes, Paul «Dactylo» Bouchard subit, vers la fin du roman, une expérience transfigurante, mais malgré tout, c’est à la vie de Morton que l’on s’intéresse vraiment.

On sent que l’auteur a voulu rendre un hommage à la musique en général, à la place importante qu’elle occupe dans sa vie, tout autant qu’à la figure de ce géant du jazz. Mais c’est parce que l’auteur possède un style roboratif, à la verve de boyscout, qui fait sourire et donne envie de suivre les aléas de la vie du personnage principal, que l’on reste sur les rails du récit.

L’impression qu’il nous reste est celle d’un roman divertissant qui aurait pu devenir sublime si l’auteur avait choisi de se consacrer uniquement au destin magnifique de ce dandy génial, pianiste hors pair et grand-père du jazz.

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