Donner voix à la vulnérabilité masculine

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25.10.2021

Foreman. Texte et idée originale : Charles Fournier ; mise en scène : Olivier Arteau et Marie-Hélène Gendreau ; assistance à la mise en scène : Maria Alexandrov ; interprètes : Pierre-Luc Désilets, Miguel Fontaine, Charles Fournier, Steven Lee Potvin, Vincent Roy ; scénographie : Amélie Trépanier ; accessoires et costumes : Mélanie Robinson ; lumière et direction technique : Mathieu C. Bernard ; conception sonore : Vincent Roy ; une production de Mon Père Est Mort, présentée au Théâtre Denise-Pelletier du 19 octobre au 6 novembre 2021.

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Après avoir remporté un beau succès à Québec lors de sa création en 2019, la pièce Foreman est maintenant présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, invitant le public montréalais à pénétrer à son tour dans l’univers des chantiers de construction de Charles Fournier. Dès l’entrée en salle, on est frappé par la belle simplicité de la scénographie imaginée par Amélie Trépanier : une corde de bois côté cour, une voiture côté jardin, le tout surplombé par des arbres suspendus au plafond, ce qui nous suggère d’emblée que ce spectacle nous proposera un renversement des perspectives sur la masculinité. Cette dimension critique s’opère néanmoins sans jugement, avec beaucoup de bienveillance et d’autodérision, ce que permet d’ailleurs le ton généralement comique du spectacle, un choix inattendu mais réjouissant. D’autant plus que la prémisse de la pièce – des funérailles – est assez sombre. Mais c’est justement ce décalage, de même que les nombreuses variations de ton, qui rend cette proposition aussi rafraîchissante.

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Des miettes de pain hot-dog

Le choix d’alterner entre deux temporalités est astucieux, puisque cela permet de dynamiser une trame narrative autrement maigre, fondée sur l’attente. À ce titre, le texte ménage bien ses effets et met tout en œuvre pour entretenir un mystère qui est peut-être inutile tant la révélation finale – la mort symbolique du père – s’avère banale dans le contexte de la pièce. C’est à la fois une qualité et un défaut de ce texte : tout au long du spectacle, on ouvre des portes (lecture de textos envoyés par l’ex d’un ami, découverte d’un dildo dans une malle, etc.) afin de produire des effets comiques, mais très rarement se donne-t-on la peine de les refermer. On sème des miettes de pain, mais sans réelle intention d’y revenir plus tard. On demeure en fait souvent dans la suggestion (du passé ou du jardin secret des personnages), ce qui pique notre intérêt et nous garde alertes sans nous satisfaire complètement. Potentielle maladresse d’écriture, la dimension comique prend ici, malgré elle, le dessus sur l’intrigue. Les personnages deviennent certes attachants en raison de l’inconfort qu’ils ressentent face à eux-mêmes et à autrui dans diverses situations, mais la mécanique du texte éclipse en quelque sorte les questions de fond.

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Malgré tout, les scènes de groupe demeurent celles qui fonctionnent le mieux. Si elles manquent ici et là de fluidité tant elles requièrent un rythme soutenu, elles sont riches en dialogues et proposent des personnages colorés qui sont bien campés par les comédiens. Même si elle frôle la caricature, leur interprétation contribue souvent mieux que le texte à souligner le caractère construit de la masculinité (toxique) des personnages, ne rendant celle-ci que plus fragile dans les moments où l’écriture de Fournier en souligne les incohérences et les travers. En contrepartie, les monologues de Carlos, qui empruntent le ton du stand-up, n’arrivent pas à nous faire ressentir efficacement l’intériorité du personnage et flirtent trop avec le cliché : sa confession à propos du rite initiatique qui consiste à se rendre chez une prostituée (et échouer à accomplir l’acte sexuel), par exemple, bien qu’elle ait une certaine valeur symbolique, a déjà été vue et revue au cinéma et au théâtre, et on se demande quelle nécessité elle vient remplir dans l’espace de la pièce.

Des éclats de tendresse

On identifie en fait surtout les qualités d’écriture de Charles Fournier dans ces moments de vulnérabilité où on sent que ça gronde sous la carapace des personnages, c’est-à-dire quand les cinq gars font face à une impasse et doivent assumer les paradoxes et les failles de leur masculinité de façade, tout en trouvant des façons alternatives de « devenir un homme ». À ce titre, la scène finale, empreinte de sensibilité et de solidarité, est sans conteste l’une des plus belles du spectacle ; on arrête de crier et de se poussailler pour prendre le temps de s’écouter, se comprendre et voir ce qui se cache sous la surface.

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Il faut aussi souligner l’inventivité de la mise en scène d’Olivier Arteau et de Marie-Hélène Gendreau, qui aide à élever le propos très terre-à-terre de Foreman. Là où le texte de Fournier manque parfois de finesse, l’imaginaire d’Arteau et de Gendreau apporte esthétisme et folie, mais aussi un surcroit de cohérence. Que ce soit par l’intégration d’intermèdes chorégraphiés où on simule l’éjaculation sur une trame musicale, où on reproduit un rythme tribal en frappant sur des casques de construction ou un capot de voiture, où on enchaîne les exercices de musculation jusqu’à l’épuisement, ou encore lorsqu’on démembre une voiture pièce par pièce dans le but de leur attribuer de nouvelles fonctions, on a droit à des moments de grande lucidité qui assurent un contraste bienvenu. Car c’est bien la difficulté d’un tel spectacle : comment aborder la masculinité d’une « gang de gars ben ordinaires » et leur difficulté à parler de leurs émotions sans se confiner à l’aplat ?

crédits photos : Eva-Maude TC

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