Corpus littéraire

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La vie littéraire, de et avec Mathieu Arsenault ; collaborateurs : Christian Lapointe et Simon Dumas ; répétiteur : Jocelyn Pelletier. Une production de Rhizome/Mathieu Arsenault ; une coproduction Théâtre Blanc et Maison de la Littérature, avec le soutien de Recto-verso, présentée au Théâtre La Chapelle (Montréal) du 22 au 31 mars 2017.

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Vous êtes venus ici pour nous écouter et nous regarder.
Vous nous regardez.
Nous sommes apparemment là, dans l’arène, dans
la fosse aux lions, fragiles comme du verre.
[…]
Nous sommes ici.
Nous sommes venus ici pour vous écouter et vous regarder.
Sachez-le, à l’inverse de ce que vous croyez,
c’est nous qui vous regardons, dans la fosse aux lions.

Christian Lapointe, « Petit guide de l’apparition à l’usage de ceux qu’on ne voit pas »

 

Il y a d’abord l’urgence. Celle qui semble animer Mathieu Arsenault, toujours plongé dans un nouveau projet, soucieux de brancher directement la littérature sur une expérience des multiplicités qu’offre ce qu’on appelle le réel. L’auteur, critique, essayiste, animateur culturel, designer de mode littéraire et maintenant acteur occupe une place singulière dans l’écologie du milieu littéraire québécois, profondément ancré dans une marge où il reste à l’affût des créations contemporaines les plus significatives (leur dédiant même un Gala de l’Académie de la vie littéraire depuis plusieurs années) en même temps qu’il peut combattre l’idée même d’une industrie culturelle mainstream.

Mais il y a aussi l’urgence qui anime son écriture, depuis Album de finissants (2004) jusqu’à La vie littéraire (2014), où les phrases sont libérées de toute ponctuation et défilent sur une ou deux pages dans un flux de parole qui met toujours en jeu la nécessité de tout dire sans filtre par crainte de perdre ne serait-ce qu’une seule idée. Cette urgence – de lire, d’écrire, mais il faudrait aussi dire de vivre en parlant des voix narratives de Mathieu Arsenault – est au cœur de La vie littéraire (l’œuvre, et non pas le milieu, et c’est là tout le problème pour la narratrice et son auteur). Devant le magma informe d’informations qui compose le monde, devant la tentation toujours présente de faire une dernière partie de Tetris avant de travailler, devant la déception parce que « la poésie continuait à ne pas arriver sur la scène au festival de la littérature de montréal », comment contrer le fait que l’oubli prime puisque « tout ce qu’on écrit s’efface » ?

Pas étonnant, d’ailleurs, que la vie théâtrale de Mathieu Arsenault soit encore liée à Christian Lapointe, lui aussi sensible aux chocs entre réel, réalité, représentations artistiques et culture populaire. Sauf qu’après avoir laissé Lapointe monter Vu d’ici avec Jocelyn Pelletier dans le rôle du narrateur, Arsenault prend lui-même en charge le devenir scénique de son texte, Lapointe et Pelletier jouant cette fois les rôles de collaborateur et répétiteur (avec l’aide de Simon Dumas, poète et directeur artistique de Rhizome).

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L’écriture et le corps

La vie littéraire n’est pas une récitation, mais bien une parole dont il faut faire l’expérience. Le spectacle mise sur un dépouillement scénique pour s’organiser autour du corps en scène d’Arsenault. Présentée comme un stand-up, l’œuvre emprunte à l’imagerie du spectacle d’humour à l’américaine : l’espace scénique est réduit de moitié par un rideau noir devant lequel se trouve une petite estrade. Armé d’un micro à fil, éclairé par un spot (assez puissant pour laisser les spectateurs dans une demi-obscurité), debout sur son estrade dont il ne bougera pas d’un iota pendant environ 45 minutes, Arsenault habite son texte avec un aplomb surprenant.

Malgré une présence plus effacée dans la création du spectacle, on y retrouve bien l’influence de Christian Lapointe. Dans « Petit guide de l’apparition à l’usage de ceux qu’on ne voit pas » (2011), court essai théorique sur le jeu de l’acteur, Lapointe invitait les acteurs à porter une attention particulière au son et à la musique de leur énonciation pour trouver le rythme juste et faire parvenir la parole à l’oreille du spectateur. Arsenault alterne entre une adresse intime, particulière et générale ; l’utilisation du micro permet soit de se confier au public ou d’adresser des questions à un énonciateur absent, sans pour autant que l’usage du micro soit systématisé et codifié pour renvoyer à un régime d’énonciation plutôt qu’un autre (et là encore plane l’ombre de Lapointe pour qui l’acteur doit toujours pouvoir improviser et se laisser surprendre par le texte au moment de l’énoncer).

Il est à la fois Mathieu Arsenault et sa voix narrative (une jeune écrivaine dans la vingtaine), présent dans son propre corps et créant progressivement un personnage scénique. Le corps bien groundé (« chauffé à blanc et prêt à réagir à tout ce qui vit autour de lui » et « traversé par une énergie hors du commun » dirait Lapointe), la main dans les cheveux, le comédien-performeur hésite, réfléchit à haute voix, crie, chuchote ; il se confie au public (toujours à demi-éclairé, toujours un peu le destinataire de cette charge) ou le prend à partie.

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La vie littéraire version stand-up se présente sous une forme nouvelle qui change l’ordre des fragments du texte d’origine, créant une mise en récit orientée autour du corps de la narratrice qui proclame d’emblée : « Tu me trouves séduisante tu me trouves intelligente tu ne sais pas qui je suis ». Plus que des idées ou des discours sur l’écriture et la lecture ou sur le milieu littéraire comme institution morte-vivante, c’est d’abord une mise en jeu du corps et de la parole qui s’opère pour cette voix prise entre les lancements jet set à la librairie (« fuck ouais le fromage en cube fuck ouais la couronne de crevettes fuck ouais le vin à volonté fuck ouais dans des verres en plastique fuck ouais j’en ai renversé sur des livres yolo »), les niveaux de Mario 2 et les figures tutélaires de « virginia kathy sarah julie maggie elfriede jelinek roussel doucet kane acker woolf ».

Mathieu Arsenault y porte une parole qui cherche par tous les moyens à s’inscrire dans l’ici et maintenant, pour participer à la mémoire collective de son époque. Une parole qui refuse fondamentalement « d’attendre que se refroidisse définitivement l’univers littéraire. »

crédit photos : Arnaud Ruelens-Lepoutre et Simon Dumas

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