Contempler l’infini

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Dans le nuage (première mouture). Idéation, texte et mise en scène : Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais; Interprétation : Robin-Joël Cool, Karine Gonthier-Hyndman, Leila Donabelle Kaze, Olivier Morin et Gabriel Szabo; Lumières : Julie Basse; Scénographie : Max-Otto Fauteux; Vidéo : Amélia Scott; Musique : Navet Confit; un spectacle de La Messe Basse. Présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 11 juin 2021.

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Imaginez que vous êtes sur le point de découvrir l’immensité infinie d’un territoire inconnu. Imaginez, en plus, que vous ayez la responsabilité de partager des éléments représentatifs de l’humanité entière, au cas où vous feriez la rencontre d’êtres… extraterrestres. C’est ce que s’apprête à faire la sonde Voyager (lancée en 1977 et contenant un disque sur lequel ont été enregistrées des chansons, des salutations ainsi que des images pour présenter l’humanité), sur le point de sortir du système solaire et qui va, par la même occasion, perdre tout contact avec le centre de contrôle de la NASA.

À partir de cette prémisse, les comparses Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais invitent le public, avant de se rendre au théâtre, à proposer une dernière contribution (musique, image ou question) à envoyer sur les ordinateurs de la sonde avant la perte de contact. Le spectacle, lui, plonge dans les nombreux et fascinants enjeux liés à cette question de l’existence probable, ou non, de formes de vies extraterrestres, sans prétendre pouvoir prouver l’équation de Drake ou le paradoxe de Fermi (simplement : si les extraterrestres existent, comment expliquer que nous n’avons pas encore établi de contacts avec eux?)

Dans le nuage (première mouture) se divise en trois moments : la présentation des enjeux (où les comédiens jouent leurs propres rôles, présentent leur obsession pour l’espace et l’exploration du cosmos, le tout sur le mode de la discussion-conférence avec un ton mi-badin, mi-sérieux), la recréation du travail, en 1977, de l’équipe qui créera le Golden Record (chaque comédien joue un membre de l’équipe : Carl Sagan, F. D. Drake, Ann Druyan, Timothy Feris et Linda Salzman Sagan, tandis que le public « joue » le rôle de Jon Lomberg) et les interrogations finales (les comédiens rejouent leurs propre rôles et essaient moins de répondre aux questions que d’embrasser toute l’immensité du moment que Voyager, et par extension l’humanité, s’apprête à vivre).

Il faut donner crédit à l’équipe, qui s’approche d’un sujet aussi peu exploité par le théâtre (contrairement au cinéma, notamment), rendant tangibles les enjeux aussi immatériels et éthérés que l’exploration de l’univers. Qu’elle soit feinte ou non, la fascination qu’expriment « en leur nom » les comédiens pour ce thème paraît bien réelle, ce qui provoque rapidement notre engouement pour le projet. S’intéresser à l’histoire du Golden Record, c’est aussi réfléchir aux questions de trace et de transmission, mais sous un angle qui englobe l’humanité entière plutôt que la cellule familiale (comme c’est souvent le cas dans notre théâtre).

Dans sa forme actuelle, le spectacle paraît par moments trop pédagogique : avec beaucoup d’éléments à présenter et à contextualiser, certains dialogues sont forcés (notamment au début de la séquence « fiction historique », où il faut introduire chaque personnage). C’est toute cette partie, présentée comme « nécessaire » pour « comprendre de l’intérieur le message du Golden Record », qui s’éternise un peu. Dans cette section, on retrouve un théâtre moins étonnant, qui se tient sur le fil du jeu réaliste, avec un texte explicatif qui se donne l’air de ne pas l’être.

Si l’idée d’associer le choix des chansons enregistrées sur le Golden Record aux évolutions des relations entre Sagan et ses collègues est efficace, s’appuyant sur tout le pouvoir d’évocation de la musique et les différentes émotions qu’elle peut susciter, les enjeux relationnels et interpersonnels nous éloignent trop longuement du projet initial.

Il ressort du spectacle quelque chose de peut-être inévitable pour ce qui est annoncé comme une « première mouture », soit une certaine déconnection entre les parties de l’œuvre. Sur scène, les comédiens évoluent dans un décor semi-réaliste qui évoque la salle de travail de 1977, décor sur lequel auront lieu çà et là des projections (certaines filmées en direct) permettant de multiplier les points de vue, mais aussi de faire « visiter » les coulisses et de montrer celles du spectacle en train de se faire. Le mariage entre le style réaliste et les ruptures métathéatrales ne se fait pas sans heurts. L’adage veut que le voyage soit plus important que la destination. Ici, ce n’est pas tout à fait vrai : lorsqu’on revient aux questionnements finaux, on questionne la longueur du détour par 1977. Dans le nuage (première mouture) regorge de bonnes idées, s’attaque à un sujet fascinant et est porté par des comédiens dynamiques. On ne peut que souhaiter une deuxième mouture qui poursuivra le chemin tracé, mais pas encore complètement défriché.

crédits photos : Hugo B. Lefort

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